Groupement de recherche « Enseigner ensemble »

Ce groupement de recherche explore les enjeux pédagogiques, artistiques et humains de la démarche qui consiste à enseigner ensemble, adoptée dans plusieurs formats de cours au Conservatoire de Lyon. Actuellement, les recherches se concentrent sur le cursus AÏCO (Apprentissage Instrumental et Invention Collective) et sont menées de façon collective par les professionnels qui ont en charge ce cursus. Il s’agit de chercher ensemble comment, dans un espace pédagogique collaboratif et réflexif en perpétuelle évolution, peuvent s’articuler et cohabiter les différentes composantes de l’enseignement : technique instrumentale, formation musicale orale, écrite et corporelle, pratiques collectives dans différentes configurations, improvisation et invention.

Le cursus AÏCO (Apprentissage Instrumental et Invention Collective) a été conçu pour être simple dans son format et son organisation, et conceptualisé comme innovation sociale (Moulaert 2009, Galmiche et coll. sous presse). Dans le cursus AÏCO, les élèves ont un seul, long cours par semaine (2h15), multi-âges et multi-niveaux, à un seul endroit (antenne du Conservatoire). En plus des six professeurs d’instrument, l’équipe compte trois musiciens intervenants, une professeure de Formation Musicale et une référente administrative et sociale. L’unité de temps et de lieu amène les professionnels à travailler et enseigner ensemble dans l’espace-temps de ce cours hebdomadaire long, ce qui nécessite une concertation très régulière. Par ailleurs, au-delà de la collaboration entre professionnels de même métier, ce sont aussi les métiers qui se croisent et se complètent, faisant émerger un professionnalisme collaboratif (Hargreaves & O’Connor 2018a, 2018b, Galmiche et coll. sous presse).

Le fondement théorique de ces recherches prend en partie ses racines dans la pensée spatiale du philosophe Henri Lefebvre, sur lequel reposent les concepts de Droit à la Ville (Lefebvre 1967) et de Production de l’Espace (Lefebvre 1974). Ce cadre théorique, qui met en jeu une une triplicité de l’espace (perçu, conçu, vécu), a été largement exploré dans de nombreux domaines (sociologie, géographie, Histoire, politique de la ville) mais peu investi dans le domaine de l’enseignement artistique en général et de l’enseignement musical en particulier.

A partir de ce cadre théorique, les recherches reposent sur des données générées au printemps 2023 lors d’entretiens enregistrés et retranscrits : interviews individuelles semi-structurées de tous les professionnels impliqués et groupes de discussion, avec comme questions de recherche : « Comment les professionnels narrent-ils la dynamique de AÏCO comme espace professionnel collaboratif ? », et « Comment les professionnels de l’espace AÏCO co-construisent-ils son avenir ? ».

La transcription et l’analyse de ces données sont en cours. Dans le cadre d’une méthodologie narrative, il s’agit d’identifier les thèmes émergents et de mieux comprendre comment convergent vers un même espace le social et le pédagogique. L’approche systémique permet de mettre en évidence comment le co-enseignement favorise la consolidation de cet espace en rendant possible une forme de résilience à la fois professionnelle, pédagogique et institutionnelle. Cette résilience, qui consiste à progresser ensemble grâce une démarche d’essais-erreurs et une souplesse permanente, permet à l’espace, toujours imparfait, d’être changeant, ce qui le caractérise comme vivant. La conception collective de cet espace peut être vue à travers le spectre des théories du design (e.g. Escobar 2018). L’invention collective dans AÏCO correspond alors non seulement à la place laissée à la créativité artistique du groupe, mais aussi à celle laissée à l’inventivité professionnelle, qui fait émerger une pédagogique jamais définitivement satisfaisante mais toujours en évolution.

L’enjeu à terme est de mettre en évidence comment la pensée spatiale et systémique, au-delà de la théorie, permettent de construire concrètement des espaces d’expérimentation pour un développement durable au sens social : en d’autres termes, comment l’écosystème que constitue le Conservatoire et ses antennes s’adapte, en tant que service public, pour s’accorder avec un environnement socio-culturel à la fois varié et en permanente évolution.

Ces recherches sont menées en partie en partenariat avec l’Académie Sibelius de l’Université des Arts d’Helsinki, Finlande.

Escobar, A. (2018). Designs for the pluriverse: Radical interdependence, autonomy, and the making of worlds. Duke University Press.

Galmiche, M., Westerlund, H., Laes, T., & Väkevä, L. (in press). How social innovations can enable socially just spatial politics and collaborative professionalism in music education: The case of AÏCO at the Conservatoire de Lyon. In M. Hahn, C. Björk & H. Westerlund (Eds.) Music Schools in Changing Societies: How Collaborative Professionalism Can Transform Music Education. Routledge.

Hargreaves, A., & O’Connor, M. (2018a).Leading collaborative professionalism. Melbourne Centre for Strategic Education Seminar Series Paper #274 April 2018.

Hargreaves, A. & O’Connor, M. (2018b). Collaborative Professionalism: When Teaching Together Means Learning for All. Corwin Press.

Lefebvre, H. (1967). Le droit à la Ville. L’Homme et la société 6, 29–35.

Lefebvre, H. (1974). La production de l’espace. Anthropos.

Moulaert, F. (2009). Social innovation: Institutionally embedded, territorially (re)produced. In D. MacCallum, F. Moulaert, J. Hillier & S. Vicari Haddock (Eds.), Social innovation and territorial development(pp. 11–23). Ashgate.